L’équivalence macroéconomique entre offre, demande et dépenses de soins

La double équivalence macroéconomique comptable mise en évidence par Robert Evans s’impose dans tout système de soins. Entre : a) l’offre de soins ou le revenu (produit des revenus des professionnels par leur nombre) ; b) la demande ou la consommation (produit du prix par la quantité de soins) ; c) les moyens de financement ou la dépense (les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations, plus la dépense privée des malades et les primes d’assurance). Qui s’écrit :

Offre       =        Demande    =   Ressources

Revenu des Professionnels     = Dépense des soins =     Moyens de Professionnels

 

(H+S)xN=PxQ=(I+C)+M+A

H + S = honoraires etiou salaire, et N = nombre de soignants. P = prix unitaire des soins, et Q = volume consommé de soins.

I + C = impôts ou cotisations, M = coût supporté par le malade, et A = primes d’assurances.

  1. L’interdépendance des acteurs. — Modifier tout terme de l’égalité se répercute sur les autres. Exemple : le Parlement, pour limiter les impôts, rationne les hôpitaux ; des malades seront soignés en ville, avec, plus de médicaments et de consultations ; si ces nouvelles dépenses évoluent moins vite que les premières ne ralentissent, l’objectif sera atteint ; sinon, la mesure aura échoué ; l’hôpital étant mieux remboursé que les soins de ville, l’objectif en sera facilité et le financement privatisé.
  2. La diversité des situations. —Les paramètres diffèrent selon les systèmes de santé. Aux États-Unis, où prévaut l’assurance privée, le secteur public finance 47,6 % de la dépense, les malades 18 % et les assureurs 34 %. Les revenus, l’emploi et le prix des soins sont élevés, mais leur volume guère supérieur à celui des Européens. En Europe, où l’impôt et les cotisations sociales prévalent, la dépense est moindre ; les revenus et l’emploi, plus faibles. Les pays du Nord demandent peu d’argent aux malades. Le système soviétique regorgeait d’hôpitaux et de médecins, mal équipés et mal rémunérés, gratuits, mais de qualité déplorable.
  3. C) Régulation et coalitions d’intérêts. — Demande et offre de soins sont par nature illimitées. La population demandera un volume de soins Q de qualité plus important et à prix P toujours plus élevé, une demande populaire pour des raisons d’éthique et de solidarité. L’offre de techniques nouvelles et de personnels médicaux toujours plus nombreux et qualifiés, espérant des revenus supérieurs, y répondra toujours Les intérêts des offreurs et demandeurs de soins coïncident donc et suscitent des coalitions. Les trois payeurs — collectivité, malades et assureurs —doivent ainsi réguler l’offre et la demande. De leur importance respective dépendent le rôle de l’État et celui du marché.

1/ En démocratie, le Parlement contrôle l’argent public. Le législateur détermine trois choses : a) les populations couvertes ; une conception minimaliste domine aux États-Unis (risques lourds, personnes âgées et handicapées, enfants ou pauvres), alors qu’une conception universelle domine en Europe ; b) le panier de biens et services de santé remboursables ; c) enfin, il fixe une enveloppe financière légale, sachant que le financement public favorise l’égalité et la gratuité d’accès aux soins. Le Parlement anglais vote chaque année le budget du NHS et ses objectifs. La Loi d’action concertée de 1977 impose en Allemagne des taux de cotisation stables par rapport aux salaires. Un principe réaffirmé en 2003. Le Parlement français vote une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) depuis 1996. Loi respectée depuis seulement 2010.

2/ La part payée par les malades est régulée par leur capacité et leur volonté de payer. Ce financement peut provoquer des inégalités d’accès et des exclusions. À maladie et coût égal de soins, la dépense privée pèse plus sur les faibles revenus et les malades.

3/ Le, rôle des assurances privées dépend des fonctions que leur laisse le secteur public : elles couvrent la population active aux États-Unis, et jouent un rôle de complément en Europe.

Le dosage entre les sources de financement est l’objet de stratégies d’intérêts, les gros consommateurs de soins tirant avantage d’un financement public supporté par le contribuable, les actifs et les personnels de santé ayant au contraire intérêt à le reporter sur les malades et les assurances privées. Ce dosage n’est neutre ni en termes de dépense globale ni en termes d’équité ou d’égalité d’accès ; il reste donc par nature un choix politique.

  • Le déficit (trou financier) : une erreur d’optique ? La tendance au déficit financier de toute assurance-maladie est universelle, l’offre et la demande de soins augmentant spontanément plus vite que les ressources. Mais tout déficit doit être financé en fin de période : soit par l’augmentation de (I + C) et/ou de A, soit par l’emprunt (qui reporte I et C sur les générations futures), soit en augmentant M. La question pertinente est triple :
  1. a) Quelle est la part des prélèvements obligatoires dans le produit national [(I + C)/PIB]?
  2. b) La part du financement privé dans la dépense de santé [(M + A)/ (P x Q)] ?
  3. c) La charge imposée aux malades [M/ (P x Q)] ?
  4. Faut-il aussi contrôler la dépense globale ? — Si l’on souhaite maintenir le taux de remboursement et l’égalité d’accès aux soins : oui. Tel fut le choix du gouvernement français pendant les années 1990. Sinon, le secteur privé peut répondre sans limite à la demande solvable et privée de soins et d’assurances. Tel est le choix américain. Alors surgit la question de l’égalité des droits ou d’accès : quand le financement privé augmente, l’inégalité d’accès aux soins peut compromettre la cohésion sociale. La France en fit l’expérience : les taux de remboursement ayant diminué dans les années 1975-1995, une partie de la population — 5 % sans sécurité sociale et 15 % sans assurances complémentaires — était gênée pour accéder aux soins, en contradiction avec le principe d’égalité d’accès aux soins si cher aux Européens. La CMU a répondu à leur demande en 2000, mais augmenté la charge publique en contrepartie.

Quand le financement privé est prépondérant, point n’est besoin de contrôler la dépense globale de soins.

Les Américains considèrent l’inégalité qui en résulte comme l’effet légitime de la liberté de souscrire des assurances diversifiées et de l’initiative individuelle.

Américains et Européens ont donc des positions opposées sur les conditions de réalisation de l’équilibre macroéconomique et sur les modalités de régulation. Le vieillissement de la population européenne pourrait contribuer à les rapprocher.

 

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